Regards croisés sur l’ESS, une économie d’avenir

Dans une interview accordée à La Voix du Parlement, retrouvez Hugues Sibille, président du Labo de l’ESS, Agnès Audier, présidente de l’Impact Tank et Alain Di Crescenzo, président de la Fédération nationale des Caisses d’Epargne (FNCE).

Hugues Sibille, vous êtes président du Labo de l’ESS. Pouvez-vous nous le présenter et nous préciser l’importance de l’économie sociale et solidaire en France ?

L’économie sociale et solidaire (ESS) a son think tank : il s’appelle le Labo de l’ESS que j’ai l’honneur de présider. Le Labo, créé depuis 12 ans par Claude Alphandéry, part de l’observation concrète des expériences de terrain, pour proposer des solutions aux immenses défis de notre temps, s’appuyant sur les principes de l’ESS. Il irrigue de ses observations et propositions concrètes les acteurs et entreprises de l’ESS, les pouvoirs publics au niveau national (exécutif et législatif) et les collectivités locales, et plus largement les citoyens engagés. Le fil rouge de ses travaux actuels est la contribution de l’ESS à une transition écologique
juste, conjuguant les réponses aux terribles défis écologiques avec l’équité sociale et l’approfondissement des processus démocratiques. Il travaille ainsi en profondeur actuellement sur la low-tech dans les métropoles, sur les facteurs de réussite ou de blocage de la coopération territoriale, sur le renouveau de l’éducation populaire à une transition juste, sur le développement des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE)… Le Labo anime un Club d’entreprises
de l’ESS, dont fait activement partie la Fédération nationale des Caisses d’Epargne, et un réseau européen de think tank dédiés à l’ESS.
L’ESS, qui représente en France 1,3 million de structures et 10 % de l’emploi, constitue par sa capacité d’innovation, son ancrage territorial, sa prise en compte des besoins des populations dans un contexte de transition sociale et écologique, un réel potentiel d’invention d’un nouveau modèle socio-économique de développement, plus durable, plus juste, plus inclusif. Elle le démontre déjà abondamment dans des domaines comme l’économie circulaire, la finance solidaire, l’alimentation durable, les circuits courts, la mobilité douce, l’économie du vieillissement, le développement local, etc.
L’ESS n’entend pas être une économie fermée mais au contraire ouverte vers le reste de l’économie pour lui apporter ses valeurs et ses expériences et la « polliniser » résolument. L’Europe, qui a adopté un plan d’action ESS en 2021 et une recommandation aux États membres en 2023, ne s’y trompe pas. Il existe un modèle français de l’ESS qui peut s’exporter en Europe.


Agnès Audier, vous êtes présidente de l’Impact Tank. En quoi l’ESS est-elle inspirante pour les acteurs de l’impact ?

L’Impact Tank est un jeune think Tank dédié à un sujet précis : la mesure de l’impact social. L’objectif est de permettre la démultiplication des initiatives qui ont un impact social important, ce qu’on appelle aussi le passage à l’échelle. Pour cela, le pari et la méthode sont de faire travailler ensemble, sur différents sujets des entreprises, des acteurs de l’ESS, des chercheurs et les pouvoirs publics. Nous travaillons avec des groupes de travail sur des sujets comme l’inclusion numérique ou l’urbanisme inclusif ou encore les données dans le social (sujet à lancer), et essayons de définir, à chaque fois, le point de vue des universitaires sur le sujet (« la doctrine académique »), une longue liste d’initiatives en précisant celles qui ont déjà été évaluées, une liste d’indicateurs pertinents pour de nouveaux
acteurs, et des recommandations pour les pouvoirs publics nationaux ou locaux. L’Impact Tank est adossé au groupe SOS, mais intègre de nombreux
acteurs. Il cherche à bien s’articuler avec les autres initiatives existantes. L’ESS est-elle inspirante pour les acteurs de l’impact ? Je ne citerai ici
qu’une seule raison : l’ESS est un réservoir incroyable d’initiatives dans des domaines devenus majeurs pour les entreprises, soit pour leurs
objectifs business, soit pour leurs objectifs RSE, soit idéalement pour les deux en même temps
. Par construction, les acteurs de l’ESS connaissent très bien les
contraintes des ménages modestes, les enjeux d’accès à l’emploi ou encore les leviers de développement économique dans les territoires qui souffrent.
Leur savoir-faire pourrait être très utile à beaucoup d’entreprises : la définition des produits et services pour des ménages modestes, la prévention du surendettement, la capacité à proposer des postes à des personnes éloignées de l’emploi (pour des raisons de manque de qualification, de situation de handicap ou encore de discrimination) sont des enjeux majeurs pour de très nombreuses entreprises de toute taille. Mais les entreprises peuvent aussi globalement progresser sur leurs objectifs notamment sociaux en travaillant mieux avec les acteurs de l’ESS, qu’il s’agisse des structures de formation ou des entreprises adaptées ou d’insertion. J’espère vraiment que les directives CSRD et la taxonomie sociale vont être des accélérateurs de contrats et de partenariats. C’est un mouvement qui doit être gagnant-gagnant entre entreprises « classiques » et acteurs de l’ESS.

Alain Di Crescenzo, vous êtes président de la Fédération nationale des Caisses d’Epargne (FNCE). Quel rôle occupent les Caisses d’Epargne dans l’ESS ?

Les Caisses d’Epargne jouent un triple rôle dans l’ESS. Premièrement, ce sont des banques coopératives, 100 % régionales et qui appartiennent à leurs clients-sociétaires. Nous décidons en régions, là où nous collectons l’épargne locale pour financer l’économie locale, en circuit court. En deuxième lieu, les Caisses d’Epargne sont aussi des grands banquiers et mécènes de l’ESS. Nous accompagnons 170 000 clients, dont 20 000 structures employeuses suivies par 140 chargés d’affaires spécialisés. Nous soutenons également plus de 1 000 associations chaque année, avec un axe fort en faveur des jeunes, via notamment Finances & Pédagogie, association spécialisée dans l’éducation financière et budgétaire. Troisièmement, nous développons des projets inclusifs en partenariat avec des associations et les pouvoirs publics, via notre activité de microcrédit par exemple, adaptée aux besoins des Français les plus modestes.
Historiquement, les Caisses d’Epargne ont contribué à plusieurs avancées sociales. Ce fut le cas avec la création du premier livret d’épargne en 1818, qui deviendra par la suite le Livret A. Elles ont également autorisé les femmes mariées à ouvrir un compte sans l’accord de leur mari dès 1881, alors qu’il faudra attendre 1965 pour
que le Code civil l’autorise. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elles sont un acteur clé de la reconstruction et de l’habitat bon marché, ce qui explique
leur rôle de premier financeur et opérateur privé du logement social aujourd’hui. Nous souhaitons rester pionniers dans les transitions de la société et jouer un rôle d’entreprise à impacts positifs à travers deux axes prioritaires : le défi climatique et l’inclusion. Nous développons des offres innovantes comme le prêt à impact, dont le taux est bonifié en fonction de la performance sociale ou environnementale des projets portés par nos clients. Nous communiquons en cette fin d’année sur nos « preuves » d’impacts organisées autour du Contrat d’utilité que nous passons avec les Français.