« Quand le bâtiment va mal, il entraîne tout le reste de l’économie »

Crise sanitaire, contexte international instable, hausse des coûts des matériaux... Le BTP est fortement touché par les aléas successifs que nous connaissons ces dernières années. Olivier Salleron, patron de la Fédération française du bâtiment, tire la sonnette d’alarme et lève le voile sur les enjeux et perspectives d’un secteur majeur de notre économie.

Olivier Salleron

président de la Fédération Française du Bâtiment

Comment réagissez-vous aux résultats de l’étude Caisse d’Epargne « Habiter demain » ?

Cette étude est très intéressante. Elle fait ressortir que les Français sont très satisfaits de leurs conditions de logement et c’est tant mieux ! Cela illustre bien l’utilité et sa portée de la politique de logement passée en France, pourtant décriée comme chère et inefficace depuis quelques années. L’étude fait également apparaitre que les Français surestiment leur diagnostic de performance énergétique (DPE)… cette méconnaissance de leur consommation d’énergie théorique ne m’étonne pas. Cela prouve que collectivement – et notamment les banques – nous allons devoir faire preuve de pédagogie pour accélérer la rénovation énergétique des bâtiments. Autre enseignement intéressant, le logement individuel reste un idéal, notamment pour les plus jeunes. Alors qu’on les imagine plutôt urbains, ils rêvent, eux aussi, de la petite maison des années 1940-50. Enfin, les Français ont intégré la notion de verticalité ou d’une certaine densité afin de limiter au maximum l’artificialisation des sols et d’atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN). Au vu du nombre de friches en France où les sols sont déjà imperméabilisés, il est tout à fait possible de limiter l’étalement urbain. Mais cela ne suffira pas forcément pour couvrir les besoins là où ils s’expriment.

Le secteur du bâtiment traverse une crise profonde. Quelles en sont les causes ?

Maillon indispensable de notre économie, le secteur du BTP représente 2,2 millions d’actifs et 10 % du PIB. Ces dernières années, il a traversé des crises successives : la hausse exponentielle du prix des matériaux au printemps 2021 a été suivie d’une hausse du prix de l’énergie à l’automne. La guerre en Ukraine en février 2022 a surenchéri la hausse des prix des matériaux et déréglé le commerce mondial. L’inflation a également impacté les taux bancaires, qui sont passés de 1 à 4 %. Ajoutons à cela des réglementations qui ont tout chamboulé : la RE 2020, la nouvelle réglementation énergétique et environnementale de l’ensemble de la construction neuve, qui est l’une des plus ambitieuse au monde, a contraint l’ensemble des acteurs à s’adapter. Résultat : les prix de la construction neuve ont bondi de 25 % en deux ans, alors que les capacités de financement baissaient.

Êtes-vous préoccupé par cette situation ?

Oui, car quand le bâtiment va mal, il entraîne tout le reste de l’économie. Avec la récession, ce sont 150 000 emplois qui sont menacés d’ici 2025 dans le bâtiment, 300 000 dans la filière. Alors même que les besoins en logement sont énormes ! Les différentes estimations convergent autour de 400 000 nouveaux logements nécessaires par an pour couvrir les changements sociétaux (augmentation des familles monoparentales, mobilités professionnelles…) et la démographie des ménages français.  On va en construire seulement 250 000 en 2024, ce qui entraîne le secteur dans une récession de – 5%. L’ensemble de cette filière est en danger et je ne vois pas de rebond avant 2026. Il faut y prendre garde car le bâtiment est un long paquebot : une fois arrêté, il faut du temps pour le redémarrer.

Les banques ont-elles un rôle à jouer ?

Effectivement, on voit dans l’étude Caisse d’Epagne que les problèmes d’accès au crédit concernent 65 % de nos concitoyens. Si une baisse des taux est bienvenue, elle ne suffira pas à régler, à elle seule, la crise du logement en France. Heureusement des solutions alternatives existent pour accéder à la propriété comme l’achat en LOA et le bail réel solidaire (BRS), et c’est positif !  Les banques ont un rôle à jouer en termes de sensibilisation sur ces nouveaux modes et plus largement d’accompagnement au financement immobilier. D’autant que le risque associé au crédit immobilier en France est quasi inexistant. En réalité, il y a très peu de défauts de remboursements. Donc j’ai envie de vous dire, allez-y ! Je sais que vous faites déjà beaucoup d’efforts mais continuez.

Le secteur du BTP
  • 2,2 millions d’actifs
    2,2 millions d’actifs
  • 10 % du PIB
    10 % du PIB
  • Les prix de la construction neuve ont bondi de 25 % en 2 ans
    Les prix de la construction neuve ont bondi de 25 % en 2 ans