Pandémie, inflation, montée des taux… comment les épargnants composent avec les aléas

Face à certains événements, les épargnants peuvent avoir des comportements très différents selon les pays. Les arbitrages qu’ils réalisent dans leur épargne ne répondent pas toujours aux besoins d’investissement. Éclairage d’Agnès Bénassy-Quéré, seconde sous-gouverneure de la Banque de France.

Agnès-Bénassy-Quéré

seconde sous-gouverneure à la Banque de France

Quatre ans après la pandémie de COVID-19, comment se porte l’épargne des ménages ?

Agnès Bénassy-Quéré : Lors de la pandémie, le taux d’épargne des ménages français a bondi de 15 % en 2019 à 21 % en 2020. Il est ensuite retombé à 19 % en 2021, puis 17 % en 2022, avant de rebondir légèrement en 2023. Cette année-là, on aurait au contraire pu s’attendre à ce que les ménages puisent dans leur épargne pour faire face à la poussée d’inflation. Cette résilience de l’épargne en France se retrouve, dans une moindre mesure, en Allemagne. En revanche, l’Italie, l’Espagne ou encore les États-Unis ont vu leurs taux d’épargne revenir à leurs niveaux pré-pandémiques, voire plus bas, sans qu’on comprenne très bien l’origine de ces différences de comportements suivant les pays.

Quelles sont les conséquences de la remontée des taux sur l’épargne ?

Agnès Bénassy-Quéré : La remontée des taux d’intérêt a poussé les ménages américains à retirer leurs dépôts des banques pour consommer, mais aussi pour les placer dans des fonds monétaires. En France, les ménages ont plutôt déplacé leurs dépôts à vue vers des dépôts à terme et vers les livrets d’épargne réglementée, mieux rémunérés. Ces derniers ont connu en 2023 des collectes historiques : + 65 Md€ pour le Livret A et le LDDS (Livret de développement durable et solidaire) réunis, et +23 Md€ pour le Livret d’épargne populaire. Ces placements, qui offrent sécurité et liquidité, sont largement plébiscités par les épargnants. On peut toutefois regretter que ceux des ménages qui peuvent diversifier leurs placements ne s’intéressent pas davantage aux produits de fonds propres, qui présentent sur le long terme des perspectives de rendements supérieurs. Alors qu’ils épargnent une proportion plus faible de leur revenu, les ménages américains investissent bien plus à long terme : leurs placements en produits de fonds propres représentent 272 % du PIB fin 2023, contre seulement 92 % du PIB en France.

Comment parvenir à une meilleure diversification des placements des épargnants ?

Agnès Bénassy-Quéré : La transition énergétique passe par des investissements massifs à long terme. Pour « orienter » une partie de l’épargne vers ces investissements tout en respectant le besoin de sécurité des épargnants, la sagesse financière recommande une meilleure diversification des portefeuilles. L’Union européenne offre de ce point de vue une fantastique opportunité, à condition toutefois de réaliser enfin ce vieux projet d’union des marchés de capitaux. La
présidente de la BCE, Christine Lagarde, en a parlé au mois de novembre, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, l’a fait début janvier ; en
février, le gouverneur de la Banque de France a tracé les grandes lignes d’un projet rénové d’union de financement, qui combine union des marchés de capitaux et union bancaire, et début mars, la BCE a publié une déclaration sur le sujet. L’épargne est abondante en Europe, les opportunités sont là : hic et nunc !


Qui est Agnès Bénassy-Quéré ?

Seconde sous-gouverneure à la Banque de France, en congé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de l’École d’économie de Paris où elle est professeur d’économie. Avant de rejoindre la Banque de France, elle était cheffe-économiste à la direction générale du Trésor (2020-2023). De 2012 à 2017, elle a été présidente-déléguée du Conseil d’analyse économique. Elle a antérieurement été directrice du CEPII (2006-2012), et a occupé des postes académiques dans les universités de Paris-Nanterre, Lille et Cergy-Pontoise, ainsi qu’à l’École Polytechnique. Elle a été membre du Haut Conseil de stabilité financière, du Conseil général de la Banque de France, du Conseil des prélèvements obligatoires, du Conseil national de productivité et du Conseil d’analyse économique franco-allemand. Elle a aussi été chercheur non résident à Bruegel et responsable du réseau de recherche du CEPR sur l’architecture économique européenne. Ses recherches portent principalement sur le système monétaire international et sur la politique macroéconomique en Europe.


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