« Les coopératives sont à un tournant stratégique »

Timothée Duverger est responsable de la Chaire TerrESS à Sciences Po Bordeaux et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie sociale et solidaire (ESS), dont "L’économie sociale et solidaire" aux éditions La Découverte (2023) et "Une autre entreprise est possible", qui sortira en septembre aux éditions Le Bord de l’Eau.

Quelle analyse faites-vous des résultats de notre étude consacrée aux coopératives ?

Timothée Duverger : L’étude met en lumière une convergence frappante entre les valeurs inhérentes au modèle coopératif et les attentes des Français, en particulier chez les jeunes générations. Ce phénomène illustre un décalage marqué entre l’offre économique libérale, qui prédomine actuellement dans notre société, et les aspirations des citoyens qui recherchent davantage d’égalité et de justice sociale. Le respect, valeur mise en avant par les Français, révèle une demande de reconnaissance des citoyens, face à un sentiment de mépris des élites. Il est intéressant de noter que 56 % des Français considèrent que les entreprises devraient être détenues par les salariés, ce qui témoigne de l’importance accordée à la démocratie dans les entreprises. Cela va au-delà des attentes traditionnelles liées aux salaires ou à l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle. Mais cela soulève le problème de l’accès au financement des entreprises qui font moins de place aux actionnaires. En ce sens, il est impératif que les politiques publiques se saisissent de ces enjeux pour proposer des solutions adaptées, comme l’illustre la Conférence des financeurs qui vient d’être lancée par Bercy sur les enjeux du financement de l’économie sociale et solidaire (ESS).

Quelles opportunités voyez-vous pour le modèle coopératif ?

Timothée Duverger : Le modèle coopératif trouve des terrains particulièrement prometteurs dans le domaine de la santé. À l’étranger, le secteur de la santé est souvent dominé par des coopératives, tandis qu’en France, les mutuelles et associations l’ont traditionnellement occupé. Cela ouvre des perspectives intéressantes pour le développement de coopératives qui pourraient offrir une approche plus participative et communautaire. Pour les financeurs, notamment les banques, investir dans des modèles coopératifs de santé pourrait représenter un élément de différenciation stratégique, surtout dans un contexte où la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est
devenue omniprésente. Par ailleurs, à l’heure où les associations sont en proie à des coupes budgétaires, et donc contraintes de diversifier leurs ressources et de se tourner vers des activités marchandes, on va voir apparaître des modèles hybrides. Le modèle coopératif et plus largement l’ESS peuvent en sortir renforcés à condition de construire des ponts entre les différents acteurs du secteur.

Quels sont les principaux freins au développement des coopératives en France ?

Timothée Duverger : Les coopératives dominent certains secteurs : la banque de dépôt, l’agro-alimentaire et le commerce de détail en particulier. Mais il faut relever un déficit d’éducation et de communication. Jusque dans l’après-guerre, la coopération à l’école faisait la promotion du modèle, mais il ne reste plus grand-chose de ce mouvement d’éducation populaire. Les entreprises coopératives ne mettent par ailleurs pas suffisamment en avant les caractéristiques différenciantes de leur modèle, ce qui limite leur attractivité et leur visibilité. Cette lacune est particulièrement perceptible dans le secteur bancaire, où le statut coopératif n’est pas souvent utilisé comme un argument de communication externe. Pourtant, être une banque coopérative peut constituer un élément différenciant important dans un marché où la transparence et l’éthique sont de plus en plus valorisées, a fortiori après la crise des subprimes où le modèle a mieux résisté. Il est donc crucial d’améliorer la visibilité et la notoriété des modèles coopératifs pour mieux répondre aux attentes sociétales actuelles.

Quels sont les défis à venir pour le monde coopératif ?

Timothée Duverger : Les coopératives sont à un tournant stratégique où l’innovation est essentielle pour maintenir leur compétitivité sans compromettre leurs valeurs fondamentales. El les doivent impérativement tisser des alliances avec des acteurs émergents et s’intégrer dans des écosystèmes qui favorisent l’innovation et la coopération, à l’instar des Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) qui permettent de structurer des filières, de créer des emplois et de revitaliser des territoires. Depuis la loi de 2014, les SCOP (sociétés coopératives et participatives) et SCIC (sociétés coopératives d’intérêt collectif) ont connu un développement significatif, reflétant une demande croissante d’engagement et de proximité. Ces structures permettent d’associer les salariés, de renforcer l’ancrage territorial et de promouvoir une économie durable. Le mouvement coopératif doit veiller à maintenir sa position dominante dans des secteurs clés, mais il doit prendre garde à ne pas se banaliser, affirmer la responsabilité territoriale de ses entreprises et continuer à innover socialement, c’est-à-dire de répondre à des besoins ou à des aspirations en vue de transformer les rapports sociaux, les mentalités ou les institutions.