La responsabilité territoriale des entreprises

À l’aune des crises que nous traversons, les nouveaux enjeux socio-économiques, écologiques, alimentaires et géopolitiques nous imposent de repenser les stratégies territoriales avec l’ensemble des acteurs concernés. Maryline Filippi nous apporte son éclairage sur le rôle et la responsabilité des entreprises dans le développement économique et sociétal des territoires.

Maryline Filippi

professeure d’économie à Bordeaux Sciences Agro et chercheuse associée à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) AgroParisTech et Paris Saclay

FNCE : comment définir la responsabilité territoriale ?

Maryline Filippi : La responsabilité territoriale des entreprises (RTE) se définit comme un « entreprendre en collectif et en responsabilité pour le bien commun » (Filippi, 2022). Sa spécificité est de faire porter l’attention sur le collectif et sa capacité à répondre aux besoins des populations. Elle propose donc un changement radical de logique d’action. D’une part, la RTE souligne le passage de l’individuel au collectif. Les entreprises engagées dans des processus de RTE s’ancrent dans des territoires non pas pour les exploiter mais pour co-créer une valeur partagée. Elle questionne la capacité des entreprises et des acteurs à créer du lien social. Elle a une visée de transformation sociale par la co-création de nouvelles formes d’action collective et de coopérations. D’autre part, la RTE soulève l’urgence de partir des besoins concrets des acteurs plutôt que de l’offre. En inversant cette logique d’action, la RTE souligne le besoin d’innovations sociales pour apporter des solutions propres aux besoins spécifiques exprimés au plus près des territoires. Dès lors, la RTE se caractérise à travers cette notion de collectif et de bien commun inscrite au sein des territoires et des communautés. Il s’agit de redonner aux citoyens la maîtrise de leurs territoires, d’assurer une vie décente, de faire évoluer les modes de gouvernance et de concilier économie, social et environnement.

« Redonner du sens à l’engagement et du pouvoir de transformation ».

FNCE : quels sont les enjeux pour les entreprises de l’ESS ?

Maryline Filippi : Si l’ESS connait une reconnaissance historique de son modèle par l’ONU en 2023, ses entreprises, de par leurs valeurs, apparaissent comme un levier de coopération sur les territoires. En effet, elle est porteuse d’un autre modèle d’entreprendre à travers, en particulier, la primauté de l’humain sur les capitaux
financiers, la gouvernance démocratique (principe d’une personne = une voix) et la lucrativité limitée des bénéfices. Quelle que que soit la taille d’entreprise ou sa forme, PME ou grand groupe international, la plupart des organisations de l’ESS sont des organisations communautaires dont l’activité est profondément ancrée dans un territoire. Elle valorise son potentiel d’innovations sociales et d’hybridation des financements, publics et privés. Dès lors les principes de l’ESS se déclinent en actions concrètes, à travers des projets d’utilité sociale pour une économie au service de ses membres et de la société, des réinvestissements dans des projets de moyen et long terme, et d’une diversité des champs investis : environnementaux (exemple des structures de la transition énergétique citoyenne), financiers, sociaux, etc.

FNCE : quelle est la place des Caisses d’Epargne dans le développement des territoires ?

Maryline Filippi : accepter le territoire, non pas seulement comme un lieu de localisation des ressources, mais comme un « construit social », déplace le focus sur les processus à l’œuvre pour s’ancrer en proximité. « Être sociétaire, c’est être utile à son territoire », s’inscrit dans un territoire comme laboratoire pour réfléchir et créer de nouvelles solutions en co-construisant, expérimentant et innovant. Dans cette perspective, les Caisses d’Epargne par leur maillage territorial et leur engagement auprès des acteurs, ont la capacité de démultiplier les projets locaux, de soutenir les actions pour améliorer le cadre de vie, rendre les territoires attractifs… Ainsi, leurs accompagnements contribuent à la création d’emplois de proximité, à la dynamisation de l’économie locale, à l’amélioration de la cohésion sociale et à la protection de l’environnement. Le territoire n’est donc pas seulement le lieu où les bénéfices des banques coopératives et régionales se manifestent de manière la plus tangible mais aussi celui du renforcement d’une communauté au-delà des seuls acteurs de l’ESS.

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