Quelle place la filière sport tient-elle aujourd’hui dans notre économie ?
Alain Tourdjman. La filière sport est un écosystème composé de nombreux acteurs, tant publics comme l’Etat ou les collectivités territoriales, que privés comme les associations sportives ou les entreprises du sport. Au total, on estime à 68 milliards d’euros le PIB de la filière sport, ce qui représente 2,6 % du PIB national. C’est l’équivalent du secteur hôtellerie-restauration mais avec une part de près de 40% du secteur non marchand (public et associatif). Ce PIB du sport est constitué de toutes les dépenses de consommation en biens et services : achats ou locations d’articles de sport par les ménages (environ 20 milliards d’euros), pratique d’un sport ou d’une activité physique, que ce soit en privé ou dans le cadre associatif (29 milliards d’euros).… Il y a aussi toute une économie autour du spectacle et des événements sportifs, avec de l’achat d’espace média, les paris sportifs ou encore les abonnements aux chaines TV payantes qui sont spécialisées dans le sport.
Avec 2,6% du PIB, le sport est un poids lourd de notre économie. Avez-vous des données qui attestent de l’ampleur du tissu productif ?
Alain Tourdjman. La filière sport compte plus de 144 000 entreprises, un nombre en progression de près de 30 % en 4 ans, et génère un chiffre d’affaires (CA) de 73 milliards d’euros. Cette filière est cependant très diversifiée et deux univers coexistent. D’une part, près de 120 000 entreprises du sport n’ont pas de salarié, 60% étant des autoentrepreneurs. Ce sont le plus souvent des coachs sportifs indépendants et ils représentent moins de 15% du CA de la filière. D’autre part, moins de 3 300 entreprises sont des PME, des ETI ou de grandes entreprises du sport (10 salariés et plus) qui concentrent près de 70% du CA de la filière, y compris paris sportifs. Elles sont plus fréquemment présentes en amont de la filière (fabrication et vente d’articles sportifs, construction et gestion d’équipements sportifs, sport spectacle…), des secteurs où les besoins de structuration et les économies d’échelle sont plus nécessaires à la réussite du modèle économique.
Quel est le rôle des collectivités territoriales ?
Alain Tourdjman. Premier financeur public du sport en France, on estime leur contribution à 14 milliards d’euros, soit près du double du budget de l’Etat dans le sport, Éducation nationale comprise. Ce sont plus précisément les communes qui portent la plus grande partie de cette contribution financière, avec 8,7 milliards d’euros. Leur implication est également indirecte puisque l’intercommunalité alloue chaque année 3,6 milliards d’euros au sport, le plus souvent en complément des municipalités.
Propriétaires de plus de 80 % des 332 000 équipements sportifs recensés sur l’ensemble du territoire, les collectivités territoriales consacrent une part importante de leur effort budgétaire à l’investissement dans de nouveaux équipements et la rénovation, soit environ 5,8 milliards d’euros en 2022. Les dépenses courantes s’orientent, quant à elles, vers les frais de fonctionnement liés aux équipements et les subventions aux associations.
Deuxième poste de dépense des communes après l’éducation, le sport est considéré comme une priorité par les élus. À leurs yeux, il représente un vecteur d’inclusion sociale mais aussi de cohésion et d’animation territoriale. Il est aussi considéré comme une forme de réponse aux enjeux de santé publique ou de développement économique. La politique sportive est souvent menée en étroite coopération avec le monde associatif qui incarne un modèle non lucratif d’accès à tous.
Au-delà de sa contribution au PIB, quels sont les apports du sport ?
Alain Tourdjman. Le sport est donc générateur d’externalités positives et doit aussi être apprécié dans sa dimension sociétale. D’une part, il associe souvent des acteurs d’univers différents en termes de statut juridique ou d’activité économique, ce qui en fait un lieu de rencontre très spécifique. D’autre part, comme l’ont montré les JOP de Paris, il permet de dépasser les clivages traditionnels entre les individus et peut les rapprocher dans le partage d’émotions positives. Par ailleurs, à titre individuel, l’évolution des aspirations et des besoins dans la pratique sportive, de la compétition au loisir et de l’excellence à la recherche d’un équilibre personnel valorisent la préservation d’un capital santé, le contact avec la nature, l’ouverture aux autres…
La pratique sportive a-t-elle évolué ?
Alain Tourdjman. La manière de pratiquer le sport a beaucoup évolué. De plus en plus de sportifs pratiquent plusieurs sports. De nouveaux sports sont apparus et les besoins ont changé, notamment chez les urbains. Les pratiquants sportifs aspirent à davantage de flexibilité, à une meilleure adaptation à leurs besoins et à leur situation personnelle. C’est ce qui explique, par exemple, le développement du coaching sportif. De même, on assiste à une montée de la pratique sportive en autonomie tandis que la pratique associative baisse légèrement. D’autre part, les personnes de plus de 60 ans sont beaucoup plus nombreuses qu’auparavant à pratiquer un sport et même à être titulaires d’une licence sportive. Enfin, la pratique sportive s’est beaucoup féminisée, y compris dans des disciplines traditionnellement attribuées aux hommes comme la boxe, le football ou le rugby.
Votre étude porte également sur les sportifs de haut niveau. Derrière les paillettes, quelle réalité se cache ? Quels grands enseignements peut-on tirer de votre étude sur ce sujet ?
Alain Tourdjman. Effectivement, nous avons mené une enquête en ligne auprès de 439 sportifs de haut niveau (SHN), ainsi qu’une vingtaine d’entretiens approfondis. Cette étude montre l’importance du soutien familial dans le développement du parcours sportif, du choix de la discipline à la création de conditions favorables à une pratique de haut niveau. De fait, 79 % des SHN sont issus d’un environnement familial où le sport est jugé « important » et 30 % comptent un SHN dans leur entourage. Le club sportif est le second lieu d’éveil des vocations tandis que le sport scolaire n’a qu’un impact minime dans la détection et le développement des talents. Autre résultat intéressant, les capacités physiques sont très rarement mises au premier plan des critères de réussite : la force mentale et la détermination, la discipline et… le soutien familial sont jugés essentiels. L’omniprésence du sport conduit à des renoncements, voire à des sacrifices, en particulier dans la vie sociale, familiale ou pour les loisirs qu’il faut pouvoir assumer d’autant qu’une vie de sportif de haut niveau s’accompagne souvent de problèmes de santé, financiers ou personnels, avec une confrontation à l’échec et des difficultés pratiques à surmonter dans l’accès aux équipements, l’organisation de sa vie… Cependant, 81% d’entre eux estiment avoir trouvé un équilibre entre leur vie sportive et leur vie personnelle / sociale : la place centrale du plaisir, le sentiment d’accomplissement, la motivation de la compétition et des défis à relever se traduisent par un vécu finalement très gratifiant. Enfin, l’étude montre que la plupart des SHN ont une double vie : près de 9 athlètes de haut niveau sur 10 sont en études et/ou en activité professionnelle, en parallèle de leur carrière. 50% ont une activité professionnelle et 45% poursuivent des études, avec un vécu plutôt plus positif dans l’emploi que dans les études et, pour tous, un enjeu majeur de reconversion !