L’analyse économique de Philippe Waechter

Quelles sont les grandes tendances de l’économie mondiale ?
Quels pays arrivent à sortir leur épingle du jeu ?
Quelles perspectives se dessinent pour le commerce international ?
Crise ou reprise ? Philippe Waechter, directeur de la Recherche économique chez Ostrum Asset Management, apporte son éclairage d’expert.

Philippe Waechter,

directeur de la Recherche économique chez Ostrum Asset Management

Depuis la sortie de la pandémie, les grandes régions du monde ont eu des profils très différents. L’inflation a été rapide aux États-Unis et en Europe alors que la Chine frôlait la déflation. Cela s’est traduit par des politiques monétaires rapidement restrictives dans les pays occidentaux. Les économies occidentales, qui avaient connu des taux d’intérêt très bas depuis la grande récession de 2008/2009, ont fait face à des taux obligataires plus élevés posant immédiatement la question du coût de la dette publique et des marges de manœuvre réduites pour la politique budgétaire.


L’activité économique n’a pas non plus été homogène. L’expansion est restée robuste en Chine. Mais son taux de croissance plus réduit limite sa capacité à tirer l’économie mondiale vers le haut.


Aux États-Unis, la reprise post-pandémie traduit l’activisme de la politique économique. Aux largesses distribuées par l’administration Trump puis Biden, a succédé une politique industrielle de grande ampleur. Son objet est d’attirer la production sur le sol américain.En Europe, la situation est plus complexe. La crise énergétique a été brutale et déstabilisante. En conséquence, l’Allemagne a connu une quasi-récession depuis le début de 2022 et des progressions limitées ont été observées ailleurs.

Du global au local


D’une manière générale, l’équilibre global de l’économie a été bouleversé. Le monde qui se globalisait et dont tous les participants bénéficiaient, est passé. Celui qui se dessine est plus local. C’est ce changement de perspectives qui est aujourd’hui important. Cela reflète trois ruptures majeures.


Une concurrence technologique qui oppose la Chine et les États-Unis. Les transferts de technologies et les moyens déployés par le gouvernement ont permis à l’Empire du milieu de développer une capacité d’innovation remarquable. D’un seul coup, les Américains se sont sentis concurrencés sur les technologies nouvelles. En réaction, plusieurs entreprises chinoises ont été bannies aux US et des contraintes fortes ont été appliquées sur les investissements américains en Chine. En raison d’une affirmation politique plus marquée du gouvernement chinois, cherchant ainsi à se déterminer d’une façon plus autonome, ces tensions politiques ont entraîné l’apparition de perceptions différentes de part et d’autre du Pacifique.


Dans le prolongement de cette affirmation politique, la guerre en Ukraine a accentué les divergences. Les sanctions contre la Russie n’ont pas été unanimes à l’ONU. La Chine et l’Inde par exemple n’ont pas voté les sanctions. Cela a été une aubaine pour la Russie qui a pu écouler son énergie sans trop de difficulté, vers l’Inde notamment. La défiance entre les deux groupes, ceux qui ont voté contre ceux qui n’ont pas voté les sanctions, s’est accrue, renforçant une forme de polarisation à l’échelle du globe. La Chine, les États-Unis et l’Europe n’ont plus forcément des positionnements économiques et politiques cohérents. L’Inde accentue ce phénomène en voulant développer le concept de Global South qui pourrait ressembler aux non-alignés des années 1970.


Le troisième phénomène est le constat des pénuries observées pendant et après la pandémie. Ce constat d’une forte dépendance a provoqué une remise en question des modes de développement : comment croître dans le futur, si la dépendance pour des produits essentiels, du paracétamol aux semi-conducteurs, est forte ? La réponse américaine a été celle de l’Inflation Reduction Act (IRA) qui marque le retour de la politique industrielle à grande échelle outre-Atlantique. En Europe, cette question a aussi été abordée avec des chantiers sur les mégafactories de batteries. L’idée est de pouvoir se développer de façon plus autonome.


Ces trois éléments expliquent la tendance à la verticalité de l’économie. Les préoccupations deviennent plus locales. En conséquence, la coordination et la coopération qui caractérisaient la globalisation ne sont plus les premières qualités de cette économie mondiale.
Ce nouveau cadre global a été davantage déformé en Europe en raison de la crise énergétique. En 2022, les prix du gaz et de l’électricité ont grimpé à des niveaux exceptionnels. C’est ce qui a alimenté l’inflation européenne, d’abord par la hausse du prix de l’énergie, ensuite par la propagation du choc dans le reste de l’économie. C’est l’Allemagne qui a été le pays le plus touché.
Le renchérissement du prix de l’énergie a été un vrai bouleversement mettant en péril les fleurons de son industrie comme la chimie et l’automobile.


Le Vieux Continent déstabilisé


Les dynamiques sont désormais plus locales. Les Américains via l’Inflation Reduction Act et le Chips Act veulent à la fois retrouver de l’autonomie et donner de l’emploi aux classes moyennes. La Chine vient, à la fin septembre, de prendre des décisions pour rééquilibrer sa croissance vers la consommation. Elle veut réduire l’impact de la crise immobilière et connaître un développement reposant davantage sur sa demande interne. Au sein des grandes régions du monde, la zone Euro est celle qui est le plus en difficulté.

Auparavant, elle captait au mieux les impulsions du commerce mondial pour les internaliser. Cela ne fonctionne plus en raison du ralentissement des échanges internationaux. Par ailleurs, les gouvernements qui avaient été très généreux pendant la pandémie et la crise énergétique sont plutôt restrictifs. Enfin, les ménages ont été pénalisés par l’accélération de l’inflation et ont épargné. La zone Euro manque d’impulsion. C’est pour cela que la politique monétaire accommodante est importante. Cela pourrait permettre notamment à l’Allemagne de définir un nouveau cadre moins dépendant du reste du monde.
La baisse de l’inflation devrait entraîner une réduction de l’épargne et permettre un rebond cyclique. Si la Banque centrale européenne joue le jeu, l’année 2025 pourrait montrer une jolie embellie.

Chiffres clés
  • 1,2%
  • 1,1%
  • +0,7%