Quel regard portez-vous sur la période que nous traversons, à l’heure du dé-confinement ?
Nous sommes en train de passer d’un état d’urgence sanitaire à un état d’urgence économique et social. Celui-ci va s’imposer comme thème unique dans les prochains mois. La machine économique va mettre du temps à repartir car une partie des Français vit encore avec la peur du Covid. Cette peur a été un puissant adjuvant pour faire tenir et respecter le confinement mais elle est tellement ancrée dans la tête de nos concitoyens qu’elle va constituer un frein à la reprise de l’activité. Devant cette priorité économique et sociale, toutes les réflexions philosophiques sur « la France d’après demain » ou « rien ne sera plus jamais comme avant » vont être remisées sur les étagères.
Au niveau des entreprises et des collectifs de travail, la période qui s’ouvre va être marquée par de fortes tensions et des bouleversements. Dans de nombreux secteurs, il y aura une forte pression pour retrouver le chiffre d’affaire perdu, assurer la pérennité voire la survie de certaines entreprises.
Cette crise va-t-elle avoir des répercussions sur le rapport à la consommation dans notre société ?
En matière de consommation, certaines tendances, déjà à l’œuvre avant l’épidémie, vont s’accélérer. Nous assistons à une polarisation de la société entre deux populations. Les catégories supérieures et classes moyennes supérieures veulent prendre du recul par rapport à la société de surconsommation. Elles ont consommé beaucoup plus de bio pendant le confinement, ont renforcé leurs achats dans les circuits courts et sont dans une posture « consommer moins mais consommer mieux ». Face à elles, une part très importante de la population, souvent socialement et économiquement moins favorisée, n’entend pas renoncer à son mode de vie actuel, dans lequel la consommation tient une place très importante. Avec la crise économique et sociale qui commence à frapper très dur, cette catégorie de population va être soumise à une tension interne entre ce qu’on pourrait appeler son « vouloir d’achat » et son pouvoir d’achat, qui va être fortement contraint. Cette logique d’arbitrage contraint, de pouvoir d’achat rogné, va s’exprimer à plein dans les mois qui viennent. À cette tension interne va s’ajouter une forte pression morale du reste de la société, qui considère qu’il faut aller plus vite sur la transition écologique, avoir un autre rapport à la consommation et arrêter de faire n’importe quoi avec les écosystèmes.
Quels sont les enjeux à venir pour les entreprises ?
Pour les acteurs économiques de premier plan que sont les entreprises, la question centrale sera celle de la raison d’être. Cette notion qui anime les cénacles patronaux ne parle pas aux Français mais renvoie à une préoccupation essentielle, celle de l’intérêt général, du supplément d’âme et de la capacité des entreprises à œuvrer pour le collectif. Les questions qui vont être posées aux entreprises, comme celles du secteur bancaire, sont « où étiez vous et qu’avez vous fait pendant le confinement ? », « que faites vous pour le collectif, pour votre pays, pour votre territoire, pour le tissu de PME dans lequel vous évoluez ? ». Dans ce cadre, des banques comme les Caisses d’Epargne, fortement implantées dans les territoires, ont tout intérêt à montrer, ce qu’elles font déjà, que leur raison d’être, leur priorité, c’est d’irriguer ces territoires, de les soutenir et de jouer leur rôle le plus collectivement possible, notamment avec le tissu de PME qui sont leurs clientes.