Cédric Turini – Dominique, lorsque nous avons préparé cette interview, vous nous aviez confié que les filles que vous accompagnez ont « beaucoup de potentiel mais elles ne le savent pas toujours »… pourquoi est-il aussi important aujourd’hui d’aider ces jeunes filles issues de quartiers politiques de la ville ou de milieu rural dans leur parcours d’orientation professionnelle ?
Dominique Goutard – Lorsque nous avons créé Capital Filles avec Stéphane Richard, le patron d’Orange qui est également Président de Capital Filles, nous avons pensé d’entrée de jeu qu’il était inadmissible que des jeunes filles soient éloignées des études supérieures pour des raisons économiques ou sociales.
Elles sont, souvent, des hauts potentiels. Toutefois, dans leurs familles, on ne le leur dit pas. Pourtant, c’est important qu’elles le découvrent pour qu’elles se réalisent. C’est là que Capital Filles entre en jeux. Notre objectif est de les révéler.
Et puis une dernière raison pour laquelle nous pensions utile de créer Capital Filles, c’est que nous sommes convaincus que l’avenir des banlieues passera par les femmes. Mais des femmes engagées, des femmes éduquées, des femmes libres de leurs choix, leurs choix d’études et leurs choix de futur métier.
Cedric Turini – Votre association a choisi un modèle d’action original. Vos entreprises partenaires proposent à leurs collaboratrices de devenir les marraines de ces jeunes filles. Pouvez-vous nous dire en quoi ça consiste concrètement ce marrainage ?
Dominique Goutard – Ce tutorat au féminin se concentre sur le fait de donner, à ces jeunes filles, confiance en elles. Parce que, si vous n’avez pas confiance en vous, vous ne pouvez pas vous projeter. La confiance en soi est donc vitale pour avoir confiance dans son propre avenir et comprendre que les entreprises sont bienveillantes et sont accueillantes. Toutefois, elles ne sont pas des mécènes et elles ne les recruteront que pour leurs compétences et leurs formations.
Les entreprises veulent toutes plus de femmes dans tous les étages de leur organisation et pour tous les métiers, notamment techniques, industriels, ingénieries…. Mais encore faut-il que les jeunes filles, et ça se fait dès la 3e, aient choisi les bonnes formations. C’est-à-dire, celles qui sont en train de construire les métiers d’avenir.
Cedric Turini – Alors récemment, Capital Filles a signé un partenariat avec BPCE et les Caisses d’Epargne, ce qui représente une centaine de marraines en plus. Que représente ce partenariat pour vous ?
Dominique Goutard – Je suis ravie d’avoir accueilli BPCE et les Caisses d’Epargne au sein de Capital Filles. Je trouve très important que les métiers de la banque soient mieux connus des jeunes filles. En effet, je souhaite leur donner, avec nos 101 marraines de votre groupe bancaire, une vision positive des nouveaux métiers de la banque et notamment ceux irriguée par le numérique.
D’ailleurs, là encore, il y a un vrai souci, car les jeunes filles ne vont pas vers le numérique. Elles considèrent souvent que c’est un milieu réservé essentiellement aux garçons. Du coup, les filles se sont éloignées des formations. Ce constat est un vrai problème pour vous, métiers de la banque, parce que vous aurez des difficultés à avoir des filles justement dans un certain nombre de vos nouveaux métiers.
Cedric Turini – Capital Filles est partenaire de 131 lycées à date et mobilise plus de 1 000 marraines dans toutes les régions. Quel est concrètement, le mode d’action de l’association ?
Dominique Goutard – Aujourd’hui nous accompagnons plus de 13 000 jeunes filles. Malgré la situation sanitaire, nous nous sommes adaptés et nos marraines avec nous. Grâce aux outils du numérique, nous sommes partout dans les lycées.
Nous intervenons de deux façons différentes. Tout d’abord, Capital Filles organisent des ateliers collectifs qui parlent essentiellement des stéréotypes et qui les déconstruisent. Les marraines témoignent et expliquent que si elles y sont arrivées, les jeunes filles y arriveront aussi.
Par exemple, un des ateliers phare est celui du coaching à l’oral pour les premières et les terminales. Il permet aux jeunes filles qui sont meilleures à l’écrit qu’à l’oral de se révéler. En effet, pour certaines, l’oral peut être compliqué car se sont souvent des jeunes filles qui viennent du monde entier. C’est la France d’aujourd’hui dans sa diversité et c’est d’ailleurs cela qui fait toute la richesse de ce programme pour les entreprises partenaires.
Ensuite, nous intervenons via un accompagnement personnalisé. Chaque marraine (Capital filles en comptait 1 179 en 2021) agit et conseille une à deux jeunes filles sur son orientation. Notre objectif, une nouvelle fois, est simplement de leur permettre de se révéler via les études ou les formations quelles souhaitent faire. Pour réussir cette tâche, nous les écoutons, nous les conseillons sur Parcoursup … et surtout nous leur donnons confiance en leur capacités.
Cedric Turini –Capital Fille doit permettre de déconstruire les stéréotypes et mettre en avant des rôles modèles là où les jeunes filles ne les attendent pas forcément, sur des sujets qui sont plutôt à connotation masculine. Est-ce que s’est compliqué aujourd’hui de faire cela ?
Dominique Goutard – Oui totalement. Quand on parle avec ces jeunes filles qui ont été élevées dans des univers mixtes, on se rend compte que le jour où elles choisissent leurs filières de formation, elles pensent filières garçon, filières filles. Face à ce constat, je pense que nous sommes tous responsables. Nous avons tous des stéréotypes en tête et c’est effectivement nous, les adultes, qui transmettons des visions, des références… qui sont féminines ou masculines.
C’est là que nous agissons en déconstruisant ces stéréotypes pour ces jeunes filles via des témoignages de marraines qui sont dans des secteurs que les jeunes filles n’imaginent pas au féminin. Vous savez, quand on est une adolescente, on ne veut pas forcément ressembler à Monsieur de Gaulle, mais plutôt à Simone Veil. C’est-à-dire, un rôle modèle au féminin et c’est vrai que les marraines de Capital Filles sont leurs modèles.
Ce rôle, nous devons l’assumer et le mériter. C’est ce que nous essayons de faire au quotidien. Une très bonne nouvelle pour l’association, c’est que les jeunes filles accompagnées par une marraine Capital Filles réussissent mieux le baccalauréat (92,5 % en moyenne depuis plusieurs années de réussite au baccalauréat).
Cedric Turini –Vous êtes vous-même une entrepreneure. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous investir dans cette mission en faveur de l’égalité des chances ?
Dominique Goutard – Je vous dirais que c’est un peu dans mes gènes. Il se trouve que je viens moi-même d’une famille d’immigrés, de père et de mère. Quand on arrive dans notre beau pays qu’est la France, et bien l’immigration est une chose qui peut être difficile.
Mes parents n’ont pas pu faire d’études supérieures. Toutefois, ils ont rapidement compris que c’était grâce à la formation que nous, leurs quatre filles, nous pouvions réussir. Ils se sont donc donné le mal nécessaire pour nous fassions des études supérieures. Cette vision de mes parents a conduit mon parcours d’entrepreneure. En effet, dans tous les programmes que j’ai conduit, une constante est la même : l’intérêt général… c’est ça qui me motive, et je pense que les entreprises en ont besoin.
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Si vous souhaitez en savoir plus sur l’association Capital Filles et, pourquoi pas, mobiliser votre entreprise à ses côtés, rendez-vous sur leur site internet www.capitalfilles.fr