Jérôme Fourquet : « Les Français attendent que les grandes entreprises adoptent une attitude citoyenne »

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Plutôt qu’une rupture, la crise sanitaire a accéléré les tendances de fond de la société française, diagnostique Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’IFOP. L’analyste invite les entreprises à prendre leurs responsabilités dans la France de l’après-confinement et à adapter leurs modes de management.

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Comment la crise sanitaire a-t-elle bouleversé la société française ?

La situation de l’économie française n’a rien à voir avec ce qu’elle était auparavant mais les grands traits n’ont pas été bouleversés du tout au tout comme certains avaient pu le prévoir. Il ne s’agit nullement d’une rupture. Les deux confinements ont été comme une sorte de gigantesque parenthèse dans laquelle la société française est entrée.

Et cette période a fonctionné comme un accélérateur, venant booster des tendances de fond préexistantes. La première illustration concerne la culture digitale qui s’est fortement accélérée avec l’essor de l’e-commerce ou du télétravail. Nous constatons également une sensibilité accrue aux enjeux environnementaux.

Les Français nous ont dit, dans nos enquêtes : c’est parce que nous avons épuisé nos ressources naturelles, malmené les écosystèmes, poussé trop loin la circulation des personnes et des marchandises que la pandémie s’est propagée à une vitesse folle. Beaucoup ont décodé la crise du Covid-19 comme le dernier coup de semonce adressé par la nature avant l’effondrement général de notre écosystème.

Aussi, certains ont-ils adapté leurs comportements personnels en privilégiant par exemple les circuits courts pour leur approvisionnement et dans le même temps, ils font pression sur les autorités publiques pour accélérer le virage de nos sociétés en direction de la transition écologique. C’est ainsi que l’on peut analyser la victoire des écologistes dans une dizaine de métropoles lors des élections municipales.

Sur ce plan politique, il a été aussi noté un retour à la défense du Made in France…

Le patriotisme économique a de fait connu un coup de booster. La crise du Covid, en révélant la très forte dépendance de la France vis-à-vis de l’étranger, a mis en lumière la très grande fragilisation industrielle du pays.

Cette question de la réindustrialisation et de la relocalisation des activités industrielles devrait être un thème majeur lors des prochaines échéances électorales. La mise en place par l’État d’un « pont aérien » au printemps pour assurer l’approvisionnement en masques auprès de la Chine constitue l’illustration la plus palpable du sentiment du déclassement de la France pour nos concitoyens.

Autre symptôme, la comparaison avec nos voisins allemands. Notre système de santé « à la française » faisait notre orgueil. Or il est constaté que sur ce point aussi l’Allemagne, avec un mode de fonctionnement décentralisé, était meilleure que nous.

C’est donc le rôle de l’État qui a été remis en cause ?

En France, l’État a un rôle central. Quand il y a des situations de crise, on se tourne vers l’État. Au début de la crise sanitaire, Emmanuel Macron a déclaré que la France était « en guerre ».

Permettez-moi un rappel historique. Évoquant la déroute de 1940, l’historien Marc Bloch établit dans « L’étrange défaite », un diagnostic implacable : dilution des responsabilités, empilement des niveaux hiérarchiques, inadaptation des procédures, incapacité du commandement à réfléchir en dehors des schémas traditionnels et à réagir rapidement, mauvaise circulation des informations.

Un tel diagnostic peut être repris aujourd’hui pour la gestion publique de la crise du Covid 19. Nous constatons en permanence un « retard à l’allumage ».

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Les Français vont-ils alors davantage se tourner vers les entreprises ?

En tenant compte du caractère empêtré de l’Administration, les entreprises vont avoir un grand rôle à jouer dans le redémarrage de l’économie. Les Français attendent que les grandes entreprises adoptent une attitude citoyenne, je dirais même patriotique. Que peuvent-elles faire vis-à-vis de leurs parties prenantes, leurs salariés, leurs fournisseurs, leurs consommateurs ?

Que peut faire un groupe fortement ancré dans les territoires comme les Caisses d’Epargne pour le tissu des TPE-PME très durement affectées par la crise et dont le pronostic vital peut être engagé ?

C’est sur ces questions là que les grandes entreprises françaises, au premier rang desquelles les banques, vont être attendues et jugées par les Français. Chaque secteur va être passé au scanner pour savoir s’il joue le jeu, s’il joue collectif.

Jérôme fourquet - Responsabilité des entreprises- RSE

La crise sanitaire a conduit à modifier le mode de fonctionnement des entreprises avec l’explosion du télétravail. Ce modèle est-il appelé à perdurer ?

Certains ont pu avoir l’impression que toute la France pouvait télétravailler mais dans des secteurs entiers, le type d’emploi ne se prête pas au télétravail. Par ailleurs, si le télétravail correspond à une attente de nombreux salariés et notamment dans les jeunes générations, la cohésion des entreprises nécessite la présence des salariés sur leur lieu de travail, qui est indispensable par exemple pour lancer des nouveaux projets. On peut donc prévoir une évolution vers une forme de télétravail panaché avec deux ou trois jours par semaine à la maison.

Plus globalement, lors de ces périodes de confinement, de nombreuses entreprises ont travaillé en « mode combat » en court-circuitant les échelons intermédiaires et en mettant de côté certaines procédures. Va se poser, lors du retour à la normale, la question des méthodes de management. Il risque d’y avoir des tensions. Enfin se posera également la question de la revalorisation salariale des travailleurs « en première ligne », ceux qui ont été « au charbon » et ont tenu bon pendant la crise, question d’autant plus délicate quand les entreprises font face à la dégradation de leurs équilibres financiers.